lundi 4 juillet 2011

Houda Kassatly, ethnologue et photographe de la mémoire


’’Je vous préviens, je suis un peu fatiguée aujourd’hui’’, nous glisse Houda Kassatly alors qu’elle nous accueille dans son appartement de Beyrouth. Une fatigue qui ne va pas l’empêcher de nous parler longuement d’elle et de ses travaux d’ethnologie. Mais avant de commencer, elle apporte un thé noir fumant et parfumé.

Traces, devenir et mémoire


Houda, ethnologue de formation, est aussi photographe. Ses ouvrages allient un texte recherché, un travail de recherche de longue haleine et des photos ‘documentaires’. L’usage de la photo est central dans ses travaux et mêler l’écrit et le visuel permet de donner à un sujet toute sa force. En effet, les travaux de Houda sont axés sur la mémoire et le patrimoine. ’’Enfin c’est plus une question de traces laissées par une société que de mémoire, précise-t-elle, car la mémoire se transforme’’. D’où l’importance des photos qui permettent de laisser… des traces, justement, de ce qui est en train de disparaître, ou ce qui est en train d’apparaître,’’dans cette période de grands bouleversements’’. Elle cite en exemple son ouvrage ‘Terre de Bekaa’ sur les maisons en terre construites dans la vallée et explique que ses travaux de recherche et ses photos ont permis de préserver la mémoire de cette architecture particulière et du vocabulaire qui lui est lié. ’’C’est un besoin pour une société de connaître son passé. Il y a une demande pour les choses qui se perdent et, en cela, l’architecture est très significative’’.
Lorsqu’elle étudiait la philosophie à la Sorbonne, elle ne souhaitait non seulement pas devenir professeur, mais était déjà intéressée par ’’le devenir des objets, des rites et des traditions’’. Elle s’est donc tournée vers l’ethnologie, qu’elle a étudiée à Nanterre : sa thèse portait sur les rites funéraires d’un village chiite du sud du Liban. Très tôt elle a orienté ses recherches sur les traces laissées par une société,’’peut-être, au fond, pour pallier mon propre manque de mémoire… j’oublie toutes les dates, même les dates de naissance de mes deux filles…’’, glisse-t-elle au cours de la conversation.

Souvenirs photographiques

Quand on lui demande si elle se souvient de son premier appareil photo, ses yeux se mettent à briller en nous racontant l’histoire de ses premiers clichés dans les années 70. Elle s’initie à la photographie avec un Diana, ce légendaire petit appareil en plastique des années 80 ’’à 5 livres libanaises et qui fondait au soleil !’’. Elle a d’ailleurs participé à un concours de photographie à l’âge de 12 ans avec son Diana. Puis pendant la guerre, elle n’a quasiment pas pris de photos : ’’Pourtant j’avais les nerfs solides, j’aurais sûrement fait une bonne correspondante de guerre. Mais c’était plus fort que moi : les photos de soldats, de chars, de sang ne m’intéressaient pas’’. Les seuls clichés qu’elle possède de cette période sont ceux de maisons détruites, de murs aux peintures écaillées, impactés par les balles : ’’Au fond, je suis toujours dans le détruit. Mais pour moi, la guerre, ce sont ces photos’’.

Image et édition

Ses clichés de maisons anciennes, on les retrouve dans un bel ouvrage, préfacé par Samir Kassir. Amis d’enfance, ils ont étudié ensemble au Lycée français de Beyrouth, puis à la Sorbonne, en philosophie. Plus tard, il lui propose d’écrire des articles d’anthropologie dans son mensuel L’Orient-Express : leur collaboration ne cessera qu’à la mort de Samir en 2005. Entre temps, ils publient des livres, notamment cet ouvrage, ‘De pierres et de couleurs’ : ’’Avec Samir, on avait pressenti que le vieux Beyrouth allait disparaître, alors on voulait en conserver une trace’’. Le livre est publié en 1998, et les clichés de Houda remontent à 20 ans en arrière. ’’Il ne reste aujourd’hui que 10 % des maisons que tu vois là’’, ajoute-t-elle. Mais Houda refuse d’être nostalgique : ’’Est-ce que cela aurait un sens, une vieille maison comme celles-ci, coincée entre deux tours ? Non’’.
Aujourd’hui, Houda se lance dans une nouvelle aventure : elle vient de fonder sa propre maison d’édition, Al 3ayn. Ce seul terme signifie à la fois l’œil et la source, car ’’tout est dans le visuel, dans l’image’’. Grâce à cette structure, elle veut encourager la publication de récits sur la mémoire et sur le patrimoine. Elle a déjà publié trois de ses ouvrages, dont un sur les camions peints, ’’une tradition nouvelle, apparue avec l’arrivée des camions il y a une cinquantaine d’années. C’est une pratique de la vie sociale à consigner’’, explique-t-elle.

En revanche, elle laisse peu à peu la photographie derrière elle : adepte de l’argentique, elle n’arrive pas à passer au numérique. Même son Nikon D300 ne la convainc pas. Elle avoue ’’ne plus avoir le choix’’, car produire en argentique est devenu trop cher et trop lent. Elle a réalisé son dernier ouvrage avec l’argentique et précise n’avoir aucun problème à laisser la place : ’’une maison d’édition sert aussi à montrer de nouveaux talents’’, conclut-elle d’un ton enjoué.

Margaux Bergey
L’agenda culturel / le 01/07/11

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